Une leçon d'écologie et d'humanisme qui date de 70 ans...à méditer

Publié le par Josefa Bolivar

Jean Giono

Jean Giono

« L’homme qui plantait des arbres » est une nouvelle écrite par Jean Giono, écrivain français né à Manosque en 1895. Par ce récit, l’auteur nous lègue un message qui, 70 ans plus tard, est toujours d’actualité.

Le personnage, un berger nommé Elzéard Bouffier, entreprend au cours du déplacement de son troupeau de chèvres de planter des glands à travers la montagne aride où plus rien ne pousse à part la lavande. En trois ans, il en a plantés cent mille comptant sur la Providence pour en faire germer dix mille.

Cet homme solitaire a l’espoir de voir pousser une forêt de chênes. Par son altruisme et sa créativité bienveillante, il va favoriser le retour de la nature et des hommes là où la vie avait disparu.

Nous vous invitons à découvrir, ci-dessous, ce magnifique récit en 4 parties.

Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable.

Il y a environ une quarantaine d’années, je faisais une longue course à pied, sur des hauteurs absolument inconnues des touristes, dans cette très vieille région des Alpes qui pénètre en Provence.

Cette région est délimitée au sud-est et au sud par le cours moyen de la Durance, entre Sisteron et Mirabeau ; au nord par le cours supérieur de la Drôme, depuis sa source jusqu’à Die ; à l’ouest par les plaines du Comtat Venaissin et les contreforts du Mont-Ventoux. Elle comprend toute la partie nord du département des Basses-Alpes, le sud de la Drôme et une petite enclave du Vaucluse.

C’était, au moment où j’entrepris ma longue promenade dans ces déserts, des landes nues et monotones, vers 1200 à 1300 mètres d’altitude. Il n’y poussait que des lavandes sauvages.

Je traversais ce pays dans sa plus grande largeur et, après trois jours de marche, je me trouvais dans une désolation sans exemple. Je campais à côté d’un squelette de village abandonné. Je n’avais plus d’eau depuis la veille et il me fallait en trouver.

Ces maisons agglomérées, quoique en ruine, comme un vieux nid de guêpes, me firent penser qu’il avait dû y avoir là, dans le temps, une fontaine ou un puits. Il y avait bien une fontaine, mais sèche. Les cinq à six maisons, sans toiture, rongées de vent et de pluie, la petite chapelle au clocher écroulé, étaient rangées comme le sont les maisons et les chapelles dans les villages vivants, mais toute vie avait disparu.

C’était un beau jour de juin avec grand soleil, mais sur ces terres sans abri et hautes dans le ciel, le vent soufflait avec une brutalité insupportable. Ses grondements dans les carcasses des maisons étaient ceux d’un fauve dérangé dans son repas.

Il me fallut lever le camp. À cinq heures de marche de là, je n’avais toujours pas trouvé d’eau et rien ne pouvait me donner l’espoir d’en trouver. C’était partout

la même sécheresse, les mêmes herbes ligneuses. Il me sembla apercevoir dans le lointain une petite silhouette noire, debout. Je la pris pour le tronc d’un arbre solitaire. À tout hasard, je me dirigeai vers elle. C’était un berger. Une trentaine de
moutons couchés sur la terre brûlante se reposaient près de lui.
Il me fit boire à sa gourde et, un peu plus tard, il me conduisit à sa bergerie dans une ondulation du plateau. Il tirait son eau "excellente" d’un trou naturel, très profond, au-dessus duquel il avait installé un treuil rudimentaire.
Cet homme parlait peu. C’est le fait des solitaires, mais on le sentait sûr de lui et confiant dans cette assurance. C’était insolite dans ce pays dépouillé de tout.

Il n’habitait pas une cabane mais une vraie maison en pierre où l’on voyait très bien comment son travail personnel avait rapiécé la ruine qu’il avait trouvée là à son arrivée. Son toit était solide et étanche. Le vent  qui le frappait faisait sur les tuiles le bruit de la mer sur les plages.
Son ménage était en ordre, sa vaisselle lavée, son parquet balayé, son fusil graissé ; sa soupe bouillait sur le feu. Je remarquai alors qu’il était aussi rasé de frais, que tous ses boutons étaient solidement cousus, que ses vêtements étaient reprisé avec le soin minutieux qui rend les reprises invisibles.
Il me fit partager sa soupe et, comme après je lui offrais ma blague à tabac,

il me dit qu’il ne fumait pas. Son chien, silencieux comme lui, était bienveillant sans bassesse.
Il avait été entendu tout de suite que je passerais la nuit là ; le village le plus proche était encore à plus d’une journée et demie de marche. Et, au surplus, je connaissais parfaitement le caractère des rares villages de cette région. Il y en a quatre ou cinq dispersés loin les uns des autres sur les flancs de ces hauteurs, dans les taillis de chênes blancs à la toute extrémité des routes carrossables. Ils
sont habités par des bûcherons qui font du charbon de bois. Ce sont des endroits

où l’on vit mal. Les familles serrées les unes contre les autres dans ce climat qui est d’une rudesse excessive, aussi bien l’été que l’hiver, exaspèrent leur égoïsme en vase clos. L’ambition irraisonnée s’y démesure, dans le désir continu de s’échapper de cet endroit.
 

À suivre...

 

Publié dans Un peu d'histoire

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D
Connaissez-vous REGAIN, de Jean GIONO également (édition GRASSET 1930) ? produit au cinéma par Marcel PAGNOL en 1937 avec Fernandel et Orane Demazis : magnifique hymne à la nature et au respect humain, même ambiance d'espoir et de besoin de renouveau qu'on pourrait tout à fait transposer à la période actuelle qui en a tant besoin après toute une destruction du respect de la vie...<br /> Merci
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P
Bonjour, <br /> Un grand bravo pour votre blog que je découvre! J'attends avec impatience la suite de cette nouvelle de Jean Giono qui est un de mes auteurs français préférés. Les photos qui l'accompagnent sont réalistes et magnifiques! Merci!
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